Ils se tenaient là, debout dans cette immense caverne, flanqués de leurs gardes, les regards de tous les habitants présents braqués sur eux. Au bout d'une dizaine de minutes, Groargaka réapparut. Un homme le suivait. Immense, extrêmement musclé, uniquement couvert d'un pagne, il portait un collier de racines fines entrelacées de petites pierres et devait avoir environ quarante ans. Il était imberbe, les cheveux bien coupés, contrairement au reste des hommes de la tribu, ses yeux clairs lançaient un regard perçant, déstabilisant qui mit Ombeline mal à l'aise. D'une marche nonchalante, féline, il alla jusqu'à une pierre plate sur laquelle il s'affala comme sur une banquette aeserienne. Cet homme, malgré sa mise primitive, avait une démarche assurée, conquérante, et dégageait un charisme impressionnant. Il avait une prestance souveraine et il était évident qu'il s'agissait là du fameux roi dont on leur avait parlé. Etait-ce là ce fameux demi-frère,héritier de la famille?
Il les toisait d'un air narquois tandis qu'une femme d'une soixantaine d'année, magnifique et à l'allure noble, malgré des vêtements de peau elle aussi, le suivit et s'assit derrière lui. Elle leva la tête dans leur direction, tout en caressant doucement les cheveux du colosse devant elle.
-C'est Mungrid tu crois?, chuchota Ombeline à Barthélémius
-A priori mais il va falloir s'en assurer, lui répondit il sur le même ton.
Pendant ce temps, la femme avait vu le visage de Datès et le fixait, les yeux écarquillés, l'air complètement déboussolé, perdu. Le roi la regarda, suivit son regard et, observant à son tour Datès attentivement, il éclata de rire avec un sourire narquois en direction de la femme qui parut encore plus confuse. Ombeline la regarda, regarda son demi-frère et fronça les sourcils.
-Je soupçonne qu'il s'agisse de Dame Teïlde..., murmura-t-elle
-Qui?, souffla son frère
-Teïlde... la mère de Mungrid. Elle a disparu des années avant lui d'après ce que nous a dit Grand-père.
-En tout cas elle n'a d'yeux que pour Datès.
-La ressemblance avec notre géniteur doit y être pour quelque chose j'imagine. Très clairement elle reconnait le visage. Avoue qu'il y a de quoi être troublé de se retrouver face à un sosie rajeuni du mari que tu as fui...
-Certes...
Sur ces entrefaites, Groargaka s'avança, son épais bâton à la main, l'air solennel.
-Le Roi accepte de vous parler. Il est très heureux de votre présence, commença-t-il d'un ton fier, je serai son interprète pour cette discussion.
La fratrie le regarda sans trop comprendre. Le roi, de son coté, semblait s'être complètement désintéressé d'eux et ne leur accordait plus aucune attention, du moins visiblement.
-Un interprète? Pourquoi un interprète?, demanda Ombeline à voix basse,
-Nous sommes les petits enfants de Guearth Whorgram. Nous sommes porteurs d'un message de sa part pour Mungrid Whorgram,héritier de la famille Whorgram, déclama Barthélémius, ignorant la remarque de sa sœur,
Le vieil homme se pencha vers le roi pour lui parler à l'oreille dans la langue gutturale qu'utilisaient les pictes. Toujours sans les regarder, le roi répondit à son interprète qui se tourna alors vers les jeunes Whorgram.
-Le Roi sait qui vous êtes et vous souhaite la bienvenue. Il est prêt à entendre votre message.
-Pourquoi ne nous parle-t-il pas lui même? Est ce que le roi est bien Mungrid Whorgram?
Face à cette question, Groargaka eut l'air extrêmement gêné mais se retourna néanmoins vers son roi pour lui traduire ce qui venait d'être dit. Ce dernier lui répondit calmement, presque d'un air indifférent et le visage du vieil homme se marqua d'étonnement.
-Le Roi vous confirme qu'il a bien été appelé Mungrid autrefois, mais qu'il rejette désormais ce nom, traduisit l'homme d'un air surpris, non pas par la réponse, mais par le fait même que le roi est accepté de répondre et d'évoquer un passé qu'il rejetait.
-Bien, répondit Barthélémius, alors comment doit on l'appeler désormais?,
-Il est le Roi.
-Mais il doit bien avoir un nom?, interrogea Datès
-Il est le Roi, il n'a pas besoin d'un nom.
-Ah..., commenta Barthélémius, troublé, Et bien soit. Nous avons donc un message pour lui en tout cas. Guearth Whorgram souhaite le voir et s'entretenir avec lui.
Après traduction, le roi eu un petit sourire en coin mais ne répondit rien. Agacée, Ombeline décida de s'avancer légèrement avant de s'asseoir en tailleur face à Mungrid qui lui lança alors un regard. Ce regard perçant était extrêmement déstabilisant, et Ombeline eut du mal à le soutenir mais, puisant dans sa volonté durcie par ce qu'elle avait vécu jusque là, elle réussit à le lui rendre sans ciller.
La voyant assise, certains enfants laissèrent leur curiosité prendre le pas sur leur peur de ces inconnus étranges et s'avancèrent vers elle. Elle les vit faire avec un sourire doux. Oubliant quelques secondes ce demi-frère si étrange, elle tendit une main ouverte vers les enfants qui s'avancèrent et se mirent à palper ses vêtements et toucher ses cheveux. Elle eut un petit rire argentin. Datès, remarquant son manège, prit son capuchon et le lança en direction des enfants qui l'attrapèrent, ravis. Ils le tournèrent et le retournèrent dans tous les sens, caressant ce tissu qui leur était inconnu, ne comprenant pas l'utilité de cet objet. Avec un petit clin d’œil, Ombeline rabattit sa propre capuche sur sa tête, puis la rejeta en arrière, dégageant sa tête. Elle répéta la manœuvre deux ou trois fois jusqu'à ce que, avec des gloussements joyeux, un des enfants enfile la capuche de Datès sur sa propre tête.
Des adultes firent alors passer des bols remplis d'un bouillon aqueux dans lequel flottaient des racines sauvages avec un peu de viande et tout le monde commença à manger. Le plat était simple mais bon et la fratrie mangea de bon cœur, bien qu'un peu soucieux du manque de réponse de Mungrid à la demande de leur grand père.
Après avoir vidé son bol, Ombeline saisit machinalement trois pierres devant elle et se mit à jongler, toujours assise à même le sol. Les enfants et quelques femmes éclatèrent de rire et la regardèrent, fascinés. Elle décida alors d'utiliser ce qu'elle avait appris auprès des troubadours et, glissant un clin d’œil espiègle vers les enfants, elle se releva, laissa tomber les pierre et se mit à marcher sur les mains. Souhaitant voir si elle arriverait à arracher une réaction à ce demi-frère qui les ignorait superbement, elle en profita pour se rapprocher de son trône, mine de rien. Quand elle fut à cinq mètres environ de la banquette de pierre, Mungrid releva les yeux vers elle, accrochant son regard. N'osant pas risquer de franchir une limite dont elle ignorait tout, elle préféra ne pas pousser plus loin, bien consciente qu'ils étaient entièrement à la merci de cet homme énigmatique. Remarquant sa manœuvre, son aîné eut de nouveau un petit sourire railleur. Sans se démonter, Ombeline lui adressa un clin d'oeil malicieux avant, d'une pirouette, de se rétablir sur ses pieds. Elle continua alors son spectacle, enchainant jonglerie basique, pirouettes, sauts et chants. Pendant qu'elle faisait ses pitreries, Groargaka se rapprocha de Datès et Barthélémius et invita Datès à le suivre. C'est alors que Barthélémius remarqua l'absence de la femme qui avait tant dévoré des yeux son demi-frère bâtard. Voyant Datès s'éloigner dans un couloir à la suite du vieil homme, Ombeline revint vers Barthélémius.
-Qu'est ce qui se passe?
-Apparemment, quelqu'un voulait discuter, ou passer un moment avec notre demi frère, répondit il d'un ton goguenard
-Dame Teïlde?
-Elle a disparu il y a moins de 10 minutes et maintenant on fait appeler Datès. Un peu gros comme coincidence tu ne trouves pas?
-Ma foi... Vu sa façon de le manger du regard, ce n'est pas si étonnant en effet.
-Ah ah! J'en connais un qui va se payer du bon temps, déclara Khordel avec un rire gras.
-Bah... Ils sont tous les deux adultes..., répondit Balgor en haussant les épaules
Soupirant tandis que ses frères éclataient de rire, Ombeline se servit un deuxième bol de bouillon puis repartit dans une pirouette et commença à montrer aux enfants comment jongler.
Après une heure, Datès revint, un grand sourire sur le visage, l'air très satisfait de lui-même.
-Alors?, demanda Barthélémius avec un sourire en coin, Qui voulait te voir?
-Bah... la femme là, qu'était derrière le roi
-Pour discuter?, le taquina Ombeline qui avait rejoint ses frères en voyant Datès revenir
-Ah on a pas tellement discuté non hin hin hin, répondit Datès en ricanant et en s'empourprant légèrement, on a plutôt.. enfin... tu vois quoi... on a... eu... euh... comment on dit déjà... eu une relation charnelle. Voilà.
-Sinon tu pouvais dire "on a fait l"amour" tu sais, c'est pas une grossièreté, se moqua gentiment sa demi sœur
-Et bien j'espère que tu as passé un bon moment en tout cas, renchérit Barthélémius tandis que Lucian, Khordel et Balgor étouffaient des gloussements,
-Bah c'était un peu bizarre. Au début elle m'a vu et elle a pleuré. Pis alors j'en ai connu des frigides, mais à ce point, jamais..., ronchonna Datès
-Pleuré?, s'étonna Lucian,
-C'est pas très flatteur pour toi ça., railla Khordel
-Attends, t'es certain qu'elle était d'accord au moins, s'inquiéta Ombeline,
-Nan mais ça va là!, s'énerva Datès, vexé, Oui je suis certain! Pour qui tu me prends?!? Si tu veux tout savoir c'est elle qui a pris l'initiative. Je suis pas du genre à forcer une femme moi!
-Désolée hein, je voudrais juste qu'on ne se fasse pas mal voir. On est totalement à leur merci.
-D'ailleurs on fait quoi pour la mission, demanda Datès,
-En ce qui me concerne, elle est remplie. On devait délivrer un message, on l'a fait. Pour le reste...
-Nan mais faudrait au moins qu'il accepte une entrevue avec le grand père là...,
-Tu vois un moyen de le forcer? Moi pas, rétorqua sa demi soeur
-Je suis plutôt de l'avis d'Ombeline, intervint Barthélémius, Moi ce qui m'inquiète, c'est qu'Hunguiot n'est visible nulle part.
-Effectivement..., répondit Ombeline songeusement,
-Sans guide, on ne pourra pas repartir, ajouta Barthélémius, inquiet
-De toute façon, on ne repartira pas tant que notre "grand frère" ne l'aura pas décidé..., riposta sa soeur,
-On peut peut être demandé au vieux non?, raisonna Datès qui fit immédiatement un signe en direction de Groargaka.
Ce dernier se dirigea alors vers eux.
-Vous souhaitiez me parler?
-Oui... On aurait des questions, grogna Datès
-Je vous écoute.
-Bon alors d'abord, on voudrait savoir si votre roi là, il est d'accord pour rencontrer son grand père.
-Il faut qu'il y réfléchisse j'imagine. Ce n'est pas là une petite demande. Et ce n'est pas que notre roi, c'est le votre aussi désormais.
-QUOI?, s'exclama Ombeline
-Bien évidemment, vous êtes sur ses terres, il est donc votre roi.
-Ohla non non non non non! Je ne me rappelle pas lui avoir prêter serment et ce n'est certainement pas MON roi, objecta la jeune fille
-Vous êtes sur nos terres, vous vous devez de respecter nos lois, répondit Groargaka d'un ton sévère, et une de ses lois est qu'il est notre roi.
-Le votre oui. Et je peux respecter vos lois sans pour autant être sa... sujette., grinça-t-elle
-Nous voulions aussi savoir où est notre guide. Je suis surpris de ne pas le voir, nous avions compris qu'il est un proche du roi, interrompit Barthélémius, soucieux de changer le sujet
-Personnellement, je m'inquiète plutôt à l'idée qu'il soit en train d'agresser un jeune garçon, gronda sa sœur avec rage.
Le vieil homme alla dire quelques mots à l'oreille du roi. Celui-ci lui répondit, tout en dardant un air railleur en direction de la fratrie.
Groargaka revint ensuite vers eux :
-Le Roi vous annonce qu'Hunguiot n'agressera plus personne désormais., annonça-t-il avant de s'éloigner de nouveau.
Ombeline se mit à rire tout en regardant Mungrid sur son trône. Ce dernier, sans lâcher la fratrie des yeux, piocha quelque chose dans son bol qu'il lança dans votre direction avec son éternel sourire moqueur. Avec horreur, Barthélémius reconnut une vertèbre. Voyant son frère pâlir, Ombeline fronça les sourcils.
-Qu'est ce qui t'arrive?
-Je... J'ai bien peur que... Hunguiot est... est fait partie du repas...
-Hein?, s'écria-t-elle tandis que Réginald s'étouffait derrière elle en entendant cela,
-Pourquoi nous lancer cette vertèbre sinon?
-Pourquoi aurait-il fait cela? C'est complètement stupide. Il l'a peut être tué, ou fait tuer. De là à le MANGER quand même il y a une sacré marche!
-Mais regarde cette vertèbre enfin!
-Ça peut très bien être une vertèbre de sanglier, ou de chevreuil, pour ce que j'en sais, répondit Ombeline avec un coup d’œil en direction de l'ossement, Ce n'est sûrement pas le gibier qui manque, dans ces montagnes.
-Mais...
-Stop. Je REFUSE d'envisager cette possibilité. C'était du sanglier je te dis.
Alors qu'ils se disputaient à voix basse, un groupe de huit pictes armés entra dans la caverne. Ils étaient manifestement furieux et criaient dans leur langue gutturale en direction de Mungrid tout en désignant Datès rageusement. Tous les pictes se turent subitement et regardèrent la fratrie avec hostilité.
-Euh... Il se passe quoi là? demanda Ombeline d'un ton inquiet
-Je ne sais pas, mais ça ne me dit rien qui vaille, répondit Barthélémius
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