Datès hurlait, appelant de l'aide pour sauver Mungrid. A la surface, Ombeline et Barthélémius entendirent faiblement ses cris, réussissant à comprendre la situation à demi-mot. Choqués, ils virent les pictes autour d'eux les relâcher et baisser la tête silencieusement, les visages s'emplir de douleur alors que les guerriers primitifs et Groargaka comprenaient quelle avait été l'issue du duel à mort.
Fébrile, les jeunes Whorgram se tournèrent vers l’interprète et l'interpelèrent.
-Ils ont besoin d'un soigneur! Faites quelques chose! cria Ombeline
-Il n'est pas trop tard, vous pouvez encore sauver votre roi!, renchérit Barthélémius
Mais tous autour d'eux les ignoraient, la tête baissée, silencieux, les visages emplis de douleur et de peine. Groargaka se tourna néanmoins vers eux.
-Les Dieux ont parlé... Vous êtes innocents, souffla-t-il sourdement
-Mais... Mais ne restez pas planté là! Il n'est pas encore mort!, protesta Réginald
-Le Roi savait ce qu'il risquait... Il a choisi lui même cette épreuve... Un seul peut remonter du puits en vie... Les Dieux ont parlé..., répondit le vieil homme, les larmes aux yeux,
-Mais c'est votre Roi! Et vous allez le laisser mourir comme ça? s'insurgea Ombeline
-Ce sont nos coutumes. Vous ne comprenez pas..., répondit simplement Groargaka avant de s'éloigner d'un pas lourd.
A ce moment là, Datès émergea de la bouche du puits, haletant, le teint pâle, les yeux hantés par ce qu'il avait vécu en bas. Immédiatement, ses frères et soeur se portèrent à son secours, l'aidant à se hisser sur le sol de la caverne. Epuisé, il s'effondra au sol, les membres tremblants, malmenés par l'effort du combat et de la remontée.
-Pourquoi.. Pourquoi vous avez pas.... envoyé... quelqu'un...., haleta-t-il
-Ils n'ont pas voulu Datès... Ils disent que les Dieux l'ont voulu ainsi, répondit sombrement Barthélémius
Pleine de rage, Ombeline se retourna, regardant dans la grotte principale, en direction de la femme à l'origine de ce drame. Si celle-ci semblait se recueillir comme le reste de la tribu, elle n'avait cependant pas l'air solennel du reste de la population. Ombeline vit même un léger sourire satisfait se dessiner sur ses lèvres. La jeune fille perdit alors le contrôle de sa colère.
-ALORS CA Y EST!? VOUS ÊTES SATISFAITE? C'EST CA QUE VOUS VOULIEZ? C'EST VRAIMENT CA QUE VOUS VOULIEZ?!? hurla-t-elle avec fureur
Autour d'elle, les pictes relevèrent la tête, la regardant d'un air profondément choqué.
-IL EST MORT A CAUSE DE VOUS! C'EST VOTRE FAUTE! VOTRE FAUTE!, continua de tempêter Ombeline.
Tout le monde la regardait comme si elle avait perdu l'esprit. Groargaka la fixait, effaré et réprobateur.
-Les Dieux ont parlé, vous êtes innocents. Mieux vaut que vous partiez si vous ne savez respecter notre deuil..., déclara-t-il sombrement
-Il serait encore en vie si vous aviez envoyé un soigneur! accusa la jeune femme, incontrôlable.
Mais l'homme fit signe aux guerriers tout en leur adressant quelques mots et la fratrie fut emmenée à l'extérieur du réseau de grottes qui abritait la tribu. Datès s'affala contre la paroi rocheuse, épuisé, peinant à retrouver son souffle. Il était toujours en état de choc d'avoir du tuer l'homme qu'ils étaient venus voir. Ombeline s'approcha de lui et s'accroupit à ses cotés pour l'examiner, soucieuse.
-De l'eau..., croassa Datès
Elle hocha la tête et se releva pour se diriger vers un des pictes qui leur barraient l'accès aux grottes.
-Il a besoin d'eau! exigea-t-elle, mimant le geste de boire quand elle constata qu'on ne la comprenait pas. Assez rapidement, on lui apporta un petit bol rempli qu'elle apporta à son demi-frère.
Tandis qu'elle amenait l'eau à Datès, des femmes leur ramenèrent leurs affaires, accompagné d'un Groargaka solennel.
-Partez, dit-il simplement,
-Nous avons besoin d'un guide pour sortir de ces montagnes, l'interpella Barthélémius, bras croisés.
-Et nous ne partirons que lorsque Datès ira mieux! déclara fermement Ombeline tout en aidant ce dernier à boire.
Groargaka hocha la tête et repartit dans la montagne.
Hagard, Datès saisit brutalement le poignet de sa demi-soeur agenouillée à ses cotés.
-Je voulais pas... Je voulais pas le tuer... Je te jure que je voulais pas le tuer..., balbutia-t-il, les yeux hagards
-Je sais..., je te crois, murmura-t-elle en réponse, ce n'est pas ta faute.
-J'ai essayé.. J'ai essayé de pas le tuer... Il m'a pas laissé le choix...Il était fort.. si fort... Il m'a pas laissé le choix...
-Je sais mon frère, répondit elle doucement tout en posant la main sur la joue de Datès, Je sais. Tu n'as rien à te reprocher. Je pense que cette femme s'est servi de toi... Repose toi...
-Pourquoi... Pourquoi tu dis qu'elle s'est servi de moi?
-Je... Je l'ai vu, pendant que tout les pictes se recueillaient... Elle.. souriait...
-Bordel...
Datès poussa un soupir et ferma les yeux. A ses cotés, Ombeline entonna une mélopée funèbre, souhaitant rendre à sa manière un dernier hommage à ce demi frère quasi inconnu.
Alors que Datès commençait à se relever après s'être un peu reposé, et que l'ensemble de la fratrie se rééquipait, ils entendirent quelqu'un s'approcher, en provenance des grottes. Relevant la tête, Ils regardèrent, incrédules, la femme qu'ils pensaient être Dame Teïlde, celle par qui tout était arrivé, s'avancer vers Datès. Ombeline la fusilla du regard.
-Tu t'es bien foutu de moi hein..., lui lança-t-il d'un ton amer, Alors c'est ça, que tu voulais? Vraiment? La mort de ton propre fils?
Sans répondre, elle tendit la main vers Datès, une petite chainette argenté dépassant légèrement de son poing fermé. Sans comprendre, celui-ci avança sa main, paume ouverte. La femme y laissa tomber un objet puis fit demi-tour et disparut dans les grottes, sans avoir prononcer une parole.
Déboussolé, Datès fixa l'objet qui brillait dans sa main. C'était un pendentif en argent, accroché à une chainette du même métal. Le bijou représentait très clairement la tête stylisée de chacal, emblème de la maison Whorgram, mais fait d'une manière, avec une technique artisanale qu'ils n'avaient jusque là jamais observée. Datès l'observa fixement pendant plusieurs minutes. Puis, se tournant vers Ombeline, il le lui tendit.
-Ce n'est pas à moi qu'il doit revenir, souffla-t-il
-Tu en es certain? C'est toi qui a vaincu Mungrid, c'est à toi qu'elle l'a donné.
-J'en suis sûr... Il doit aller à quelqu'un de la famille...
-Si tu insistes..., répondit elle en saisissant la chainette.
-Je me demande bien pourquoi elle t'a donné ce bijou, remarqua Barthélémius, tandis qu'Ombeline le passait autour de son cou.
-En tout cas, ça ne ressemble à rien que je connaisse, ajouta Réginald, Niveau technique et art hein, parce que pour le reste, on reconnait clairement le symbole Whorgram.
Ombeline cacha le bijou sous sa chemise puis, ils se mirent en route, guidés par un groupe de chasseurs pictes.
Il leur fallut deux jours entiers pour sortir de la montagne et retrouver les prairies verdoyantes entremêlées de collines. Leurs guides les laissèrent dès qu'ils arrivèrent en vue de la vallée. Ils étaient complètement désorientés et n'avaient aucune idée d'où ils se trouvaient. Alors qu'ils avançaient, gardant la montagne dans leur dos, espérant croiser un chemin qui les mènerait à un village, Ombeline réfléchissait pensivement en observant Datès.
-Vous pensez que c'était bien Dame Teïlde? Cette femme..., demanda-t-elle
-Ca me parait très probable en effet, répondit Barthélémius
-Et elle aurait orchestré la mort de son propre fils, c'est à n'y rien comprendre..., intervint Réginald
-Ca fait froid dans le dos..., murmura Balgor
-Elle devait bien aller avec notre géniteur..., remarqua sombrement Ombeline
-Ah ça...
-Elle a disparu il y a combien de temps? demanda brusquement la jeune fille
-Aucune idée, répondit Barthélémius, mais... vu mon âge... Je dirais un peu plus de trente ans...
-Je pense à quelque chose là..., dit-elle doucement, Quel âge a Datès?
Celui-ci se retourna vivement dans sa direction.
-Qu'est ce que tu sous-entends là?, gronda-t-il
-Euh.. et bien... je me dis juste qu'elle a du disparaitre un peu avant ta naissance... enfin... je...
-Ca veut dire quoi ça?!?
-Est ce que... Est ce que tu te rappelles de ta mère? balbutia Ombeline, mal à l'aise
-Nan! Pourquoi? Qu'est ce que ça peut te foutre!, s'énerva-t-il
-Eh bien je...
-Tu sous-entends que j'aurai baisé ma mère?!? Je suis pas comme ça! Tu m'entends!
-Nan mais c'est pas ce que...
-C'est EXACTEMENT ce que tu voulais insinuer! Fais gaffe à ce que tu dis! Fais bien gaffe à ce que tu dis! J'ai PAS BAISE MA MERE TU M'ENTENDS! hurla-t-il, furieux
-Pardon.. Ce n'est pas ce que je voulais dire..., protesta la jeune fille
-BEN HEUREUSEMENT!, brailla-t-il avant de tourner les talons et de s'éloigner rageusement.
Ombeline le regarda partir vers un bosquet d'arbres mortifiée.
-Je vais aller lui parler...Essayer de le calmer, soupira Barthélémius
-Dis lui que je suis désolée s'il te plaît.. Je ne voulais pas le blesser...
-Un jour ma sœur, il faudra quand même que tu apprennes à tenir ta langue..., la réprimanda son frère
-Tu penses que je me trompes?
-Je n'ai pas dit ça. Il est possible que ton idée soit vraie. Mais je ne pense pas que Datès soit capable de l'entendre. Et puis ça changerait quoi?
Ombeline baissa le regard en rougissant, penaude, tandis que Barthélémius se dirigeait vers leur demi-frère.
-Datès? appela-t-il doucement
-Quoi?!? gronda ce dernier, T'es aussi venu te foutre de moi et lancer des idées dégueulasses?
-Bien sûr que non..., répondit Barthélémius, Personne ne dit que tu as eu un rapport avec ta mère...
-Ben c'est ce qu'elle avait l'air de dire Ombeline pourtant..., grogna Datès
-Elle a été maladroite. Elle est désolée et s'excuse. Elle ne voulait pas te blesser...
-Ouais... Ben... y a des choses à pas dire quand même hein!
-Oui oui, et on n'en parlera plus. C'est promis.
-Ouais...Bon... J'ai peut être réagi un peu fort aussi...
-Peut être un peu en effet, répondit Barthélémius en souriant légèrement,
-Et puis bon... je suis encore pas bien de ce qui s'est passé... avec Mungrid...
-Il ne t'a pas laissé le choix Datès, c'était lui ou toi. Et franchement je suis content que ce soit toi qui soit remonté.
-Bah... Merci... Mais j'aurai aimé que ça finisse pas comme ça...
-Je m'en doute... Et...Est ce que tu te rappelles de ta mère? Ta vraie mère? Tu n'en parles jamais...
-Ma mère, c'est la salope qui m'a balancé dans la porcherie de mes grands parents quand j'avais trois ans! C'est tout ce que je me rappelle d'elle...
-Oh...
-C'est pour ça que j'en parle pas. J'aime pas parler de ça
-Je comprends mieux. Tu as raison, ne pensons plus au passé, allons affronter l'avenir!
-Ouais ben je me demande ce qu'il va dire, le vieux, quand on va lui dire que Mungrid est mort, grinça Datès d'un air inquiet
-Tu n'as pas eu le choix. Je suis sûr qu'il comprendras. Allez, on n'a dit qu'on ne regardait plus le passé. Ce qui est fait est fait. Allons de l'avant mon frère.
-Ouais, répondit Datès avec un début de sourire, Un pied devant l'autre!
Ensemble, les deux frères retournèrent auprès du reste de la fratrie. Ombeline se rapprocha de Datès, presque timidement.
-Datès? appela-t-elle
-Ouais, qu'est ce que tu veux? bougonna-t-il
-Je voulais m'excuser... pour tout à l'heure... Je n'aurai pas du dire ça... C'était idiot.
-Ouais... C'était idiot comme tu dis... Mais bon, c'est passé, tu t'es excusée, on en parle plus.
-Merci, soupira la jeune fille, visiblement soulagée
-Y a pas de quoi.
-Datès? répéta-t-elle
-Ouais?
-L'autre jour... Quand je t'ai appelé "mon frère"... Je le pensais vraiment tu sais... Je me fiche de ce que dit Grand-Père, ou les autres... Pour moi tu es mon frère.
-Merci Soeurette, lui répondit-il avec un sourire, tout en lui ébouriffant les cheveux affectueusement.
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