Une légère bruine réveilla Ombeline. Relevant la tête, elle s'aperçut que seul Barthélémius était réveillé, le reste de la fratrie continuait de récupérer après la traversée éprouvante de la Dinmë. A pas lent, elle se rapprocha de son aîné.
-Tu as raté un spectacle fascinant hier soir, commença celui-ci
-Ah? Attends.. J'ai dormi toute la nuit? Où sont les soldats?, s'inquiéta la jeune fille
-Oui, nous t'avons laissé dormir. Il nous a semblé que tu en avais bien besoin, après cette traversée... Et pour les soldats, ils sont partis de leur côté, comme il avait été convenu. Tiens, tes armes sont là-bas. Pour étonnant que cela paraisse, ils ont tenu parole. Il y a bien eu un moment un peu tendu quand ils ont réalisé que Khordel portait une armure de chez eux mais il a réussi à les persuader qu'il l'avait trouvé sur un mort et qu'il avait enterré celui-ci après l'avoir délesté de l'armure...
-Et ils ont gobé ça?
-Aussi surprenant que ce soit, oui.
-Et c'est quoi cette histoire de spectacle? interrogea-t-elle tout en ramassant son glaive et sa dague dans l'herbe et en les réinstallant à son côté,
-Et bien figure toi que Khordel et Datès se sont entendus
-Preuve que des miracles peuvent arriver...
-Pour aller rechercher le cheval.. de l'autre coté..., acheva Barthélémius
-Hein?
Ombeline regarda son frère les yeux ronds.
-Dis-moi qu'ils n'ont pas fait ça....
-Et si.... Sans succès, comme tu t'en doutes vu l'absence de cheval près de nous...
Ombeline se pinça l'arête du nez en soupirant...
-Tu les aurais vu Soeurette, à batailler avec les flots pour ramener un canasson récalcitrant... Ils ont failli tomber à la baille au moins trois fois... tout ça pour finir par couper la corde reliant la barque à ce foutu animal qui menaçait de les entrainer par le fond...
-Merveilleux.... Et le cheval?
-Aucune idée, le courant l'a entrainé en aval. On ne l'a pas retrouvé...
Elle poussa un gros soupir. Sous les arbres maigrelets, le reste de ses frères et demi-frère continuaient à ronfler tranquillement.
-Dis moi Barthélémius, et si on profitait qu'ils dorment tous pour explorer un peu? Sans aller bien loin hein, mais ça serait plus utile que de regarder passer l'eau non?
-Après tout, pourquoi pas Petite Sœur. C'est vrai que la vue de nos frères endormis et ronflant est un divertissement dont on se lasse assez rapidement. J'ai repéré un petit sentier, nous n'avons qu'à le suivre.
-Très bien, je te suis.
Ils suivirent donc un petit sentier qui remontait le long de la Dinmë. Après une petite demi-heure, ils arrivèrent en vue d'un embranchement au centre duquel trônait un grand chêne. A cet endroit, un petit pont de pierre enjambait les flots et menait à un moulin à eau, de l'autre coté d'un petit torrent qui rejoignait le fleuve en contrebas. Tendant l'oreille, ils entendirent alors des bruits de combats en direction de ce moulin.
Choisissant la prudence, ils se réfugièrent à l'abri de l'arbre et observèrent la scène, tentant de comprendre ce qui se passait. Il leur sembla que deux silhouettes ombreuses sortaient de l'édifice et s'enfuyaient en courant vers l'aval.
-C'était quoi ça?
-Aucune idée, mais je propose que nous allions voir de plus près de quoi il retourne.
Tandis qu'ils arrivaient au niveau du moulin, un homme apparut à quelques centaines de mètres de là. Il arrivait de la direction opposée à celle par laquelle les deux fuyards étaient partis et semblait courir bizarrement, de façon un peu bancale. Barthélémius et Ombeline se tapirent contre un des murs du moulin et le regardèrent se rapprocher.
-On fait quoi? chuchota Ombeline à son frère
-Je ne sais pas mais il n'a pas l'air bien dangereux, répondit ce dernier sur le même ton,
-On se montre alors? C'est bizarre, il me dit quelque chose...
Avant qu'ils aient réussi à se décider, l'homme arriva au moulin, gravit les quelques marches montant à la porte et s'engouffra dans le moulin.
-Ah..., constata Barthélémius
-Bon ben... on entre aussi? On frappe? Il y a peut être un blessé à l'intérieur qui a besoin de soin non?
-En tout cas on entend pas de bruit. Mais soyons prudents tout de même. On ne sait pas combien ils sont à l'intérieur....
Ombeline s'était déjà faufilée jusqu'à la lourde porte en bois et toquait.
-Bonjour! Il y a quelqu'un? demanda-t-elle d'une voix forte
-Nous savons que vous êtes là! Répondez!, renchérit son frère
Aucune réponse ne se fit entendre. Ombeline carra les épaules, dégaina son glaive et entrouvrit la porte qui n'était pas verrouillée. Voyant que rien ne se passait, elle ouvrit plus grand, observant la pièce qui se dévoilait devant elle.
C'était une grande salle au plancher rustique. Face à elle se trouvait un meuble en bois sur le plateau duquel elle apercevait des armes. A sa gauche, une grande table, elle aussi couverte d'armement et de diverses choses faisait face à un grand rideau qui masquait une partie du mur du fond. Elle ouvrit encore un peu plus la porte, révélant le corps inanimé d'un homme, au sol, vers le fond de la salle.
Personne d'autre n'était visible. Elle fit quelques pas à l'intérieur, hésitante, et s'approcha du corps. C'était un vieil homme et elle ne pouvait plus rien pour lui. Dans son dos, on voyait la trace de blessures. Il avait été transpercé par une épée ou un outil tranchant à plusieurs reprise, son sang formant une grande flaque figée, pourpre, sur le bois du plancher.
-Eh bien Vieux Père, qui t'as troué de la sorte? demanda-t-elle doucement au mort.
Elle s'accroupit pour observer le corps mais il n'avait à ses yeux rien de remarquable. C'était manifestement un vieux paysan, aux mains calleuses et aux vêtements rapiécés. Tandis que son frère se rapprochait à son tour, elle lui ferma les yeux, et, se relevant, se détourna.
Se rapprochant du meuble en bois au fond de la pièce, elle y trouva un arc étrange, fabriqué avec des matériaux et une technique qu'elle n'avait encore jamais vu. Il était d'une seule pièce de bois, avec une double courbure, sans un seul morceau de cuir ou de métal. Sa corde était faite de fibres végétales tressées extrêmement finement et son corps était décoré d'étrange symbole qu'elle ne comprenait pas. Cet arc la fascina aussitôt et elle ne put s'empêcher de le garder. Allant un peu plus loin, elle trouva sur la table deux carquois de la même facture, remplis de flèches de bois à la pointe durcie au feu.
Pendant qu'elle observait les flèches et installait un des carquois à sa hanche, son frère continuait son exploration, tapant du talon sur le sol qui sonnait quelque peu creux. Approchant de sa sœur, il s'interrogea à vois haute :
-Où est passé l'homme qui est entré en courant? Il n'était pas aussi vieux que ce pauvre bonhomme là-bas.
-Je ne sais pas.
Avisant le rideau, Barthélémius s'en approcha en faisant signe à sa sœur de se tenir prête. Hochant la tête, celle-ci dégaina silencieusement son glaive et se plaça aux cotés de son frère. D'un coup sec, il écarta le rideau, révélant une large alcôve dans laquelle se terrait effectivement un homme.
-Qui êtes vous? Pourquoi n'avez vous pas répondu à nos appels? tonna Barthélémius
-Attends..., hésita Ombeline en abaissant sa lame
-Pourquoi aurais-je répondu? Pour prendre le risque de me faire trouer le ventre comme mon ami? rétorqua l'homme d'un ton amer
-Barth... son visage..., bafouilla Ombeline, les yeux rivés sur la figure de l'inconnu, Je connais ce visage.
Barthélémius prit alors le temps d'observer plus attentivement son interlocuteur. Il recula soudain d'un pas, blême.
-Ce n'est pas possible...
Au même instant, l'homme prit une grande inspiration, les yeux ronds, son regard oscillant de Barthélémius à Ombeline
-Non... Barthélémius... C'est toi?
-Réginald, mon frère... C'est... C'est bien toi?
Tandis que les deux jumeaux se regardaient fixement, troublés et émus, Ombeline sentit une larme perler à sa paupière.
Hasard ou destin, ils avaient retrouvé le dernier de leur frère.
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