Personne
ne savait d’où avait bien pu arriver ce curieux petit être. Mais
le fait est que Narla Sylvar, prêtresse de Warlendia, l’avait
trouvé sur une plage du nord lors d’un pèlerinage avec sa femme,
Ayrde. La déesse avait envoyé des signes à Narla : un souffle
salé, le bruit des vagues, qui avaient dirigé ses pas vers cette
petite plage perdue, battue par les vents et les flots. Là, elles
avaient trouvé, au milieu de débris de bois, une petite boule de
poils détrempée et inconsciente, à moitié morte de froid. Elles
n’avaient jamais rien vu de pareil et au premier abord, auraient pu
croire à un simple félin sauvage si ce n’est… qu’elle portait
un petit vêtement et avait un collier autour du cou. Un simple lien
de cuir tanné portant une petite ammonite montée en pendentif.
La
petite ressemblait à un félin humanoïde, une “enfant-chat”.
Voyant
dans le collier un signe clair que la petite chose était sous le
regard de Warlendia, la prêtresse humaine et sa femme demi-orc, sans
la moindre hésitation, l’avaient ramenée avec elles et adoptée.
Elles l’avaient installées chez elles, dans leur petite maison un peu à l’écart du village de Côte-en-Corps, dans la province du Vinies, sur la côte ouest du Gallaron. Les débuts avaient été… chaotique, avec une enfant tel que nul n’en avait jamais vu ni entendu parler. La petite ne parlait pas un traître mot de commun et baragouinait dans une langue inconnue. Elle fut incapable de comprendre les questions qu’on lui posait et ne put donc donner son nom aussi Narla et Ayrde décidèrent de la nommer Kyrtiss.
Les premières semaines furent très difficiles, tant pour les mères adoptives que pour la petite. L’enfant ne connaissait clairement rien de l’endroit où elle avait “atterri” et devait tout apprendre, sans aucun repère quel qu’il soit. Elle était effrayée, terrorisée même par moment mais, contrairement aux enfants “habituels”, elle était pourvu de crocs et de griffes dont elle n’hésitait pas à se servir si elle se sentait menacée. Il fallut des trésors de patience et d’attention à Narla et Ayrde pour “apprivoiser” l’enfant et lui apprendre la langue commune. Ayrde parlait régulièrement dans sa langue natale à la maison et, au bout de quelques mois, elle eut la surprise d’entendre Kyrtiss balbutier des mots en orc. Dès lors, l’enfant apprit les deux langues à une vitesse surprenante.
Elle finit malgré tout par s’attacher à ses mères adoptives et à s’exprimer de façon compréhensible. Elle en oublia même sa langue natale, à l’exception d’une petite berceuse qu’elle se chantait souvent à elle-même pour s’endormir ou se rassurer. Mais même les paroles de la chansonnette finirent par lui échapper et, si elle “sent” vaguement le sens général de la chanson, elle n’en comprend plus les paroles.
Durant les premiers mois, elles durent aussi faire face à la méfiance de certains membres du village. La présence d’une enfant-chat n’était en effet pas du goût de tous et certains se demandèrent si ce n’était pas une petite démone déguisée. Narla mit fin très vite à ses racontars avec douceur mais fermeté, expliquant que l’enfant leur avait été envoyé par Warlendia et demandant si quelqu’un, dans l’assemblée, comptait défier les projets de la déesse. Personne ne moufta. Il faut dire que la présence massive d’une Ayrde manifestement mécontente, dans le dos de sa femme, aida les esprits à se calmer.
Par
la suite, la petite fit preuve d’un esprit vif et intelligent et
Narla décida de la former à servir la déesse des océans. Ayrde
n’était pas forcément d’accord avec ça. Elle aurait préféré
que l’on attende que Kyrtiss puisse décider elle-même de la voie
qu’elle souhaite suivre. Mais comme la principale concernée aimait
effectivement suivre l’enseignement de Narla, Ayrde finit par
accepter la situation de bonne grâce.
La petite Kyrtiss eut
donc, malgré des débuts compliqués, une enfance relativement
heureuse, entourée de l’amour de ses mères. Elle réussit à se
mêler un peu aux autres enfants du village mais restait cependant un
objet de curiosité, voire de méfiance masquée pour quelques
personnes. Aussi passait-elle une bonne partie de son temps seule, ou
avec une de ses mères pour l’un ou l’autre de ses
apprentissages.
Elle grandit pour devenir une adolescente intelligente et optimiste malgré une certaine naïveté, convaincue de la nécessité d'œuvrer pour le Bien et de servir la déesse qui lui a sauvé la vie. Elle est persuadée qu’il y a du bon dans chacun, aussi caché puisse-t-il être.
Dernièrement, un voyageur de passage à Côte-en-Corps, surpris de son apparence, (comme tous ceux qui traversaient le village) lui a révélé l’existence d’un vieil ermite du Frickastan qui lui aurait parlé d’hommes-bêtes. Ce Meste Miruln résiderait au tertre de Valmintor. Après d’âpres discussions, Kyrtiss a réussi à convaincre ses mères de la laisser partir rencontrer cet ermite. C’est la première fois qu’elle entend parler de gens qui, peut-être, seraient de son espèce. Souhaitant savoir d’où elle vient, la jeune prêtresse de 16 ans était obnubilée par l’idée de rencontrer ce Meste Miruln. Voyant à quel point cela lui tenait à coeur, ses mères acceptèrent, malgré leur inquiétude. Ayrde résolut néanmoins à accompagner sa fille sur sa première semaine de voyage. Mais l’adolescente idéaliste se retrouva livrée à elle-même pour la suite de son périple et réalisa alors réellement à quel point elle était… unique. Elle dut se confronter à la curiosité, mais également à la méfiance quand ce n’était pas à l’agressivité directe de ceux qui la prenait pour une démone. Impressionnée par ce monde extérieur décidément bien plus dur que ce à quoi elle était habituée, elle perdit en assurance et, bien que gardant ses convictions bien ancrées, elle devient plus timide. Elle rencontra notamment un groupe de paladins et fut même effrayée de leur attitude soupçonneuse, limite menaçante à son égard, jusqu’à ce qu’elle puisse leur prouver qu’elle était bien prêtresse de Warlendia.
Elle finit par arriver, fourbue, au tertre de Valmintor, le samedi 13 novembre 2418.